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Photo de l'écrivain Christian Bobin

Jardiner ses mémoires échouées
 

L’art poétique de Christian Bobin immortel saisi se déplie, il tremble. Saule pleureur éternellement souriant, à l’oreille il nous a donné de l’enfance une écoute qui ne meurt pas. Sa chaise vide devant sa table en bois s’envole. Sa fenêtre ouverte sur son Creusot, il demeure éternel.  Le fusain de ses mains jointes éclaire une ferveur. Dans ses regards poétiques s’inscrivent d’innombrables pépiements. Un ravissement

           Habiter le présent c’est avant tout retrouver les branches maîtresses qui ont façonné son existence jusqu’à cet ici et maintenant. Il faut alors parfois savoir accepter une mémoire qui s’efface, certainement la souhaiter comme un art de l’épure qui participe de son écologie intérieure.

Penser un tracé ternaire par lequel on pourrait mettre en regard la mémoire alors décantée, matériau que l’écriture travaillerait comme le paysagiste cisèlerait ses buissons et massifs grâce à son art de la taille. À l’inverse d’une programmatique, d’un projet d’écriture qui serait établi a l’avance, il s’agirait plutôt de penser ces textes comme des instantanés, les restes laissés sur un buvard d’une mémoire parcellaire.

Parfois, même les branches porteuses voire certains arbres subissent les affres du temps, de la maladie ou de l’invasion de parasites, de charançons... D’autres fois, il s’agit simplement de très légèrement tailler au sécateur un rejeton intérieur ou une simple feuille inharmonieuse. Cet apprentissage et cette pratique s’apparentent à mon sens de très près à la découverte de l’écriture qui doit pouvoir rendre compte d’une mémoire sporadique et ainsi re-tisser une généalogie personnelle avant toute possibilité de fiction.

En ce sens l’écriture première serait peut-être bien une collation des plus fidèle qui insufflerait sa touche propre grâce à l’alliance des mots, d’une rythmique, de sonorités entendues. Écrire, habiter le présent, s’apparenterait alors d’emblée à une captation, une écoute de nos mémoires échouées.

La vie passée, vestige de multiples partitions. Comme une ritournelle de l’effacement. Aujourd’hui, les mémoires multiples jouent un concert inédit : l’écriture les ressaisit comme une apprentie chef de chœur. Essayer d’entendre, voir et insuffler par les gestes une dynamique. Ressentir cet héritage érodé, sableux, presque désertique. L’extraire. Ressentir l’agogique, l’interprétation proposée, un tempo mouvant tel un sol constitué de myriades et d’infinitésimales poudres de pierres qui bruissent. Un vent sonore écrête les dunes. Elles chantent, et l’écriture ardemment les gravie, comme rampante sur cette poussière ocre et vaporeuse pourtant immense.

Tel un champ soudé de mégalithes à l’infini, ondulées elles inspirent un souffle. L’écriture cueille ses franges devenues aériennes : les mémoires sourdes résonnent encore un peu. Travailler à écrire des réminiscences en happant en plein vol ces évanescences : l’écriture naît sur un fil ténu enlacé aux éléments naturels.

 

BRÛLIS
 

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Entendre l’écriture advenir
c’est faire corps avec son écoute intérieure
Imaginer l’effeuillement de strates
Composer toute réalité perçue
Bruiter une écoute candide
ce serait alors
zébrer d’or fin les parois feutrées de notre perception
et espérer atteindre
les confins d’une écriture poreuse.
Une pierre ponce raclerait insensiblement la page
elle se transformerait en brique réfractaire
renvoyant la chaleur vive d’une inspiration
devenue feuillet errant
Arabesques désormais exposées

Tronçonner la langue

c’est oser une coupe franche dans la chair d’un tronc
Recompter les cernes
à la recherche d’une enfance copiste
Débiter, c’est tenter une coupe raisonnée dans l’écriture
Des bûches de bois préparent un ouvrage
Sciés, des paragraphes émergent
Raboter les planches c’est parvenir à façonner les phrases
Chercher des résonances boisées
La joie ultime c’est passer un papier de verre sur la peau des mots
Épurer les aspérités
Entrer dans le filigrane de bois ardents

Un ponçage délicat
Recueillir des poussières poétiques

Des plumes de graphite s’effilochent tiraillent la force du papier
Des poudres de sens émergent
tissent une quête inconnue
Elles semblent naître d’un néant
Mais les pensées enfouies
diffusent une ondée
Et cette flamme vive lovée dans un chandelier en étain
promet une vision acérée
Ratisser un jardin tapissé de feuilles ocres
traduit ce travail d’épure
L’effort dans le corps-à-corps avec l’écriture
progressivement libère une joie
Ramener à soi les ombres de notre arbre intérieur
c’est parvenir à s’effeuiller

Une poétique naissante entrouvre des cœurs de pierres vives
Les éléments s’étonnent
Une vie s’éclaire
Et des foudres solaires vont irradier des cahiers de silex
Concrétions lumineuses
Nous inspirerons

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